Quand « cela » se met à Coacher à travers vous…
Dans cet article sur le coaching, j’aimerais m’adresser plutôt à des confrères Coachs expérimentés, qui retrouveront probablement dans ces réflexions des échos avec leur propre expérience.
Des Coachs débutants pourront également y trouver un intérêt, mais peut-être seront-ils davantage sceptiques et tout cela leur paraitra-t-il assez étrange…
Qu’ils se rassurent : l’auteur de ces lignes partage avec eux une certaine perplexité, ne pouvant pas comprendre non plus le phénomène que nous allons évoquer. Et pour cause, il s’agit d’une expérience qui va-au-delà du mental ordinaire. Elle a lieu justement quand celui-ci est débordé et ne peut plus suivre.
Si le cœur vous en dit, faisons ensemble une petite incursion quelque peu « vertigineuse » au pays de la sur-performance, en prenant soin de ne pas faire trop de bruit avec nos pensées discursives, pour ne pas déranger le calme étrange qui y règne, majestueusement accueillant…
4 niveaux de compétences
Nous le savons, dans tous les domaines d’expérience, il y a quatre niveaux de compétences :
- L’incompétence inconsciente (on n’est pas conscient d’être incompétent)
- L’incompétence consciente (on est incompétent et on s’en rend compte)
- La compétence consciente (on est compétent et on sait pourquoi et comment, attentifs que nous sommes à bien « faire »)
- La compétence inconsciente (on est compétent, mais on n’y fait plus attention tellement la compétence est devenue un réflexe)
Il y a en effet un moment où l’on a tellement intégré la technique, qu’on ne sait plus trop bien comment on fait ce qu’on fait, et qu’on réagit spontanément de façon pertinente aux situations, en quelque sorte : sans y penser.
Dans ce cas-là, l’artiste a probablement tellement fait ses gammes, que son talent peut véritablement s’exprimer au travers de sa technique, parfaitement maîtrisée, sans qu’il n’ait besoin de tout contrôler, son talent s’exerce à travers lui dans la mesure où il cesse d’y faire obstacle à partir de ses agitations mentales et émotionnelles.
C’est un idéal vers lequel tendre, et il arrive parfois qu’on s’en rapproche… et puis l’état de grâce s’éloigne de nouveau. Mais au passage on en a eu un aperçu, un avant-goût très stimulant. Parfois, cela suffit à déclencher une vocation et à engager sur le chemin pour s’individualiser.
La compétence inconsciente en Coaching
En Coaching, il vous est peut-être ainsi arrivé de ne plus savoir, de ne plus savoir quoi faire, après avoir tout essayé : votre client ne débouche pas, et vous vous enlisez avec…
Et là, obligé que vous êtes de lâcher prise, vous arrêtez enfin d’essayer de « faire du bon Coaching »…
Alors, dans cet état d’abandon et d’acceptation du fait d’être dépassé, si pourtant on continue d’accompagner, en n’essayant plus de faire quoi que ce soit, il peut se produire un étrange phénomène de coaching spontané : cela se met à Coacher à travers vous, sans que vous ne dirigiez plus rien.
Vous sentez que le client approfondit sa réflexion, et… que vous n’y êtes pour rien. Mais vous êtes là, à ses côtés, pleinement disponible, tranquille.
On dirait que ça marche, comme par miracle. Et il semble que votre client soit en train de réussir son Coaching…tout seul, presque malgré vous ! (les anciens chinois appelaient cela le Wu-wei, le « non agir » – Lire à ce sujet le « Traité de l’efficacité » de François Jullien)
Expérience de coaching spontané
Mais avant cette surprenante expérience de coaching spontané, il peut y avoir eu des moments, également assez particuliers, où vous avez bien senti que le client se perdait, qu’il paniquait un peu même.
Demeurez alors confiant et engagé à fond dans l’accompagnement, traduisant une grande « présence » qui ne vous semble même pas être « la vôtre », un peu comme si vous étiez progressivement « pris en charge » par un processus de résolution qui vous englobe et vous dépasse tous les deux.
Vous vous sentirez à l’aise, mais incapable de provoquer ou de conduire cet état. Et d’ailleurs, vous en serez à chaque fois le premier surpris, et aussi le premier bénéficiaire, parce que cet état provoque des connexions multiples dans votre propre cerveau : vous comprenez alors des choses nouvelles, vous percevez des sortes d’intuitions en germe ou en bouquet, qui s’épanouissent au fur et à mesure de la séance, et même après. (Voir à ce propos notre article : « insights en cascade« )
Un brin d’humilité ?
A ce stade, il me paraît salutaire de faire une aparté, pour nuancer notre propos à la lueur de notre expérience personnelle.
Personnellement en effet, je me méfie de ce genre de descriptions, parce qu’elles sont toujours un peu caricaturales et pourraient complexer des personnes qui ne s’y reconnaitraient pas.
Profitons-en pour remettre les choses à leur juste place :
- Dans les faits, les choses ne se passent pas toujours de façon aussi phénoménale. On n’en vit parfois que certains aspects seulement. On peut ressentir une intuition, un grand calme, une étrange confiance, une certitude parfois… mais pas toujours tout cela à la fois comme un feu d’artifice…
- Et puis, nous disions tout à l’heure que le client panique parfois, quand il se perd. Précisions, qu’avant de l’accompagner avec une présence confiante (parce que vous avez déjà vécu cette situation de nombreuses fois et qu’elle ne vous inquiète plus), il vous arrive d’assez nombreuses fois de vous laisser prendre et contaminer par l’embarras du client. Dans ce cas, on rate l’embranchement et, sans s’en rendre compte, on passe à côté de l’expérience de coaching spontané.
Je me suis surpris parfois à relever comme un défi personnel, à me mettre soudain à « vouloir réussir ce Coaching », comme s’il s’agissait de « mon » Coaching alors qu’il s’agit de celui du client, comme si son incapacité momentanée me challengeait personnellement, comme si je devais faire mes preuves, etc… Dans ce cas évidemment, il n’y a plus d’accompagnement « passif et confiant », mais une agitation dénuée d’efficacité. Et l’effet coaching n’a plus lieu. (voir à ce sujet notre article : « lâcher prise sur le résultat« ). Mais il faut parfois en passer par là, et se sentir bien démuni, pour se laisser doubler sur sa droite par l’intelligence collective du binôme Coach/Client, et que « cela se mette à coacher », presque à votre insu et malgré vous.
Nous ne voudrions pas laisser croire à cette utopie de perfection, où toujours nous serions au mieux de nous-même et jamais nous ne faillirions… En pratique c’est souvent l’inverse, et il faut se planter souvent (même si on ne s’en rend compte que plus tard), pour parvenir à la position d’humilité et de confiance, qui permet parfois d’entrer à deux dans cette sorte d’« état de grâce ».
Les conditions du coaching spontané
Quoi qu’il en soit, on peut s’interroger sur la nature de cet état, que des artistes par exemple, ont pu vivre et décrire, quand ils étaient pris par l’inspiration (de même que des champions sportifs se surpassant aux Jeux Olympiques, ou des guerriers en situation de danger extrême)…
Dans le coaching spontané, il y a quelque chose d’impersonnel qui se met en place, dès lors qu’on accepte d’être dépassé.
C’est paraît-il, comme si la Force se témoignait enfin quand on accepte de reconnaître notre fragilité…
- Ecoutez le silence entre les mots, autour des mots, sous les mots
- Quand vous parlez, prenez le temps de ponctuer avec du silence, ralentissez délibérément le rythme de cette séquence de coaching. Vous accélèrerez tout-l’heure si vous sentez qu’il y a besoin de tonifier, mais pour le moment, approfondissez l’expérience en ralentissant, en appréciant le silence. Ne soyez pas dérangé par les mots, ils n’empêchent pas le silence (ils en viennent et ils y retournent). C’est sans importance de parler ou de se taire, si vous vous connectez profondément au silence qui reste intact sous les mots. Ils s’inscrivent momentanément par dessus le silence comme des fleurs dans une prairie, c’est passager, c’est beau, c’est la vie, c’est tout…
- Ecoutez à partir de votre ventre, écoutez la bouche ouverte ou les yeux fermés (par moments), écoutez-vous respirer, écoutez les émotions de votre client, sans les manipuler, sans les commenter intérieurement. Soyez ouvert à vos propres émotions, mais ne vous identifiez pas à ces émotions. Vous sentez par exemple que ce client est triste quand il évoque la perte d’un être cher, et vous ressentez de la compassion, de la solidarité, mais vous n’avez rien à dire de cela, rien à commenter (mais vous pouvez le faire si vous voulez, bien sûr), juste à accueillir et à vibrer. Laissez éventuellement les larmes monter à vos yeux, pourquoi pas ? Respirez calmement avec cette empathie, avec cette bonté, cette tendresse envers cette personne qui a de la peine…
- Ressentez la chaleur entre vous, l’amitié, la solidarité. Oui, vous êtes ensemble, en compagnie, vous vous accompagnez mutuellement. C’est un beau métier, ça. Vous avez de la chance de le pratiquer et qu’on vous paye pour vivre cela. Sentez-vous reconnaissant d’avoir enfin trouvé cette activité, qui est à la fois « juste » pour vous, et bienfaisante pour ceux qui vous accordent leur confiance.
En savoir plus sur le coaching spontané
Pour ceux que ceci fascine, il y a peu de littérature qui parle de cet état second, de ces mini transes dans lesquelles vous restez pourtant parfaitement éveillé et conscient de tout. Il faut peut-être aller creuser du côté de témoignages de personnes engagées dans la spiritualité (lire à ce sujet : « après l’extase, la lessive » de Jack Kornfield), ou des recherches scientifiques sur les états modifiés de la conscience.
Les chamanes provoquent parfois de tels états par des plantes (dont les drogues ne sont paraît-il que de pâles reflets de synthèse), mais nous parlons, nous, d’un état qui s’obtient sans aucune substance, sans violence, et sans choc en retour (et donc heureusement sans effets secondaire désagréable ou préjudiciable). Cela se vit juste par la concentration et le désir intense d’être là, accompagné d’un relâchement de la volonté…
Par égard pour ceux que ceci finirait par lasser, si nous en parlions davantage, nous en resterons là cette fois-ci… En attendant que le petit oiseau de l’inspiration nous invite une prochaine fois à reparler de tout cela sous un autre aspect peut-être ?
Pingback: Expérience de Coach : quand cela se met à Coacher à travers soi | Supervision des Coachs | Scoop.it
Je trouve votre « billet » très bien fait. Ce n’est pas évident de trouver les mots pour expliquer le phénomène que vous décrivez. Cela m’évoque – mais peut-être que je détourne votre propos – le « flow » dont parle Csikszentmihalyi : « Dans le souci d’identifier les conditions qui caractérisent les moments décrits par les gens comme étant parmi les meilleurs moments de leur vie, Csikszentmihalyii (1975) a interrogé des alpinistes, des joueurs d’échec, des compositeurs de musique et bien d’autres personnes qui consacrent beaucoup de temps et d’énergie à des activités pour le simple plaisir de les faire sans recherche de gratifications conventionnelles comme l’argent ou la reconnaissance sociale. Les résultats de ces recherches lui ont permis de définir le concept de l’expérience optimale, qu’il appelle « Flow » (Csikszentmihalyi, 1990), et qui réfère à l’état subjectif de se sentir bien (Csikszentmihalyi & Patton, 1997). Le Flow peut être ressenti dans divers domaines tels l’art, l’enseignement, le sport… Le Flow se manifeste souvent quand il y a perception d’un équilibre entre ses compétences personnelles et la demande de la tâche ».
Le coach aurait-il ce détachement ?
Merci Alain d’expliciter le lien avec le flow.
Bien sûr qu’il y a un moment de grâce, en Coaching comme ailleurs, où l’effet Coaching se produit sans que vois ne sembliez fournir d’efforts. Sans doute est-ce un état d’alignement et d’équilibre entre plusieurs paramètres dont l’auteur que vous citez a proposé une modélisation intéressante.
Dans ces instants où « cela se met à coacher », il y a comme une multitude de connexions qui se font simultanément : le client comprend des choses, se sent pris par une énergie nouvelle, en même temps que l’accompagnateur se sent également dans cette fluidité et pris dans un bain d’intelligence, ou de bienveillance, ou de paix, ou de créativité, etc…. Il y a plaisir partagé, et si c’est très fort, on s’en aperçoit, même si on ne sait pas le nommer.
Mais je voudrais dire que c’est souvent plus discret qu’un feu d’artifice, et qu’on le vit à petites doses, mais finalement plus souvent qu’on le croit. Toutefois, on ne s’en rend pas bien compte et on banalise cet « état », tout en fantasmant une expérience inaccessible qui serait extraordinaire. Je crois que nous vivons tous des fragments « d’expérience optimale »
Et c’est en en reconnaissant les prémisses, et en appréciant ses micro manifestations dans le présent tout simple et ordinaire, que nous appelons davantage de cette bonne chose dans notre expérience future (et nous préparons peut-être à vivre de temps en temps de grandes expériences d’unité).
J’aime bien votre mot de la fin « détachement », surtout quand il est couplé avec « engagement » : grande concentration dans l’acte, et détachement quant au résultat. Moi, je fais ce que j’ai à faire, je donne le meilleur relatif à chaque fois, et le résultat ne m’appartient pas… mais dans ces conditions, il est généralement gratifiant !